Dans le contentieux des brevets en France, voici de bonnes nouvelles !
Les juges parisiens viennent en effet de décider le 7 décembre dernier [RG 20/12558], de pouvoir apprécier le respect des obligations contractées en vertu du droit français par le breveté essentiel PHILIPS basé aux Pays-Bas et par l’association régie par la loi française du 1er août 1901, l’ETSI (Institut Européen des Normes de Télécommunication) basé en France à Valbonne-Sophia Antipolis, y compris à la demande d’un tiers comme le fabricant chinois XIAOMI de téléphones portables 3G et 4G.
Les demandes judiciaires
A défaut depuis 2016 d’une licence conclue entre eux, PHILIPS assigne en octobre 2020 XIAOMI en contrefaçon de certains des brevets de son portefeuille, devant quatre juges distincts selon leur droit national : allemand, espagnol, néerlandais et britannique.
Un mois après, estimant avoir dû bénéficier d’une licence Frand, XIAOMI assigne devant notre Tribunal Judiciaire de Paris, PHILIPS et l’ETSI. Car ils n’auraient pas respecté les règles relatives aux droits de propriété intellectuelle élaborées par l’ETSI, ce qui procède d’une même situation de fait [p.15 dernier § de l’ordonnance du Jme de Paris]. XIAOMI précise que ses demandes visent à obtenir de l’ETSI qu’il lui garantisse l’accès aux normes qu’il édicte [p.4 § 4 de cette ordonnance], et par conséquent au marché commun auquel l’ETSI doit tendre [p.9 § 5 du jugement de ce Tribunal].
PHILIPS n’aurait pas non plus respecté ses engagements demandés par l’ETSI lors de son adhésion au contrat d’association [p.4 dernier § de ce jugement], notamment celui d’octroyer irrévocablement à XIAOMI comme à tout constructeur ou opérateur qui la sollicite, une licence irrévocable aux conditions Frand qui sont décrites notamment dans les articles 6, 8 et 15 de l’annexe 6 des règles de procédure de l’ETSI [p.4 § 3 et p.5 § 3 et 4 du jugement].
Les décisions
« Quoique de nature contractuelle, il n’est pas douteux que la demande nécessite ici l’examen de la méconnaissance d’un droit de brevet, et ici un portefeuille de brevets déclarés comme essentiels par leur titulaire » [p. 12 § 4 de l’ordonnance]. Par conséquent c’est bien le Tribunal Judiciaire de brevet de Paris qui est matériellement compétent.
Après avoir rappelé l’état du droit dit par la CJUE sur la compétence d’un juge dans l’UE en cas de pluralité de défendeurs [p.12 derniers § et s. de l’ordonnance], ce juge parisien estime que le contrat d’association entre la défenderesse PHILIPS même basée aux Pays-Bas et l’autre défendeur l’ETSI basé en France, tout comme l’accord tripartite que constitue la stipulation (art. 1205 et s. C.Civ.) de l’ETSI promise par PHILIPS pour autrui c’est-à-dire au bénéfice de XIAOMI [p. 16 § 1 et 4 de l’ordonnance] sont tous les deux soumis au droit français ce qui ne fait pas « obstacle à la reconnaissance d’une identité de situation de droit » [p.16 § 1, 2 et 4 de l’ordonnance].
De plus, « seraient inconciliables et non pas simplement divergentes »
[p. 16 § 3 de l’ordonnance] :
- « la décision qui enjoindrait à l’ETSI de concourir à la concession d’une licence au besoin par la mise en œuvre des mesures prévues par son règlement intérieur »,
- et la décision d’un autre juge « qui estimerait que […] PHILIPS [a] respecté [son] obligation de proposer [… à] XIAOMI une licence à des conditions Frand,
- auxquelles pourrait aboutir un jugement séparé des demandes » de XIAOMI.
Enfin il n’y a pas lieu pour les juges français de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision d’un des quatre juges étrangers déjà saisis, puisqu’aucun d’entre eux n’est en charge de cette licence Frand demandée en France par XIAOMI, notamment quant aux taux et assiette de sa redevance [p. 16 § 6 de l’ordonnance].
L’avenir
Restera à savoir :
- dans le cas où la Médiation proposée par le juge français notamment sous l’égide de l’OMPI [p.18 dernier § de l’ordonnance] échoue,
- si les demandes de XIAOMI sont bien fondées [p.10 § 3 et 4 du jugement] :
- que ce soit sur l’engagement irrévocable de PHILIPS de lui consentir une licence irrévocable,
- ou que ce soit sur la prétendue « passivité fautive » de l’ETSI [p.9 § 6 du jugement]
Conclusions
Mais surtout on ne peut que se féliciter de voir le juge français s’ouvrir ainsi à l’international pour apprécier des situations hors de France relevant des droits des brevets, surtout si elles sont soumises au droit français.
Espérons avec autant de force, qu’aussi pour les atteintes de brevets, il voudra de même apprécier selon leur loi locale les actes de contrefaçon commis également hors de son territoire – au moins en Europe. Ce serait, comme pour les victimes de contrefaçons de leurs œuvres, marques, modèles ou encore de concurrence déloyale, bien utile aux entreprises notamment françaises qui ne voudraient ou ne pourraient pas supporter tous les aléas de notre prochaine « Juridiction Unifiée de Brevet ».