Commentaires et critiques sur la proposition de loi du 24 May 2018 sur la protection du secret des affaires

04.06.2018Articles et publications

Thierry MOLLET-VIÉVILLE Avocat associé

Articles et publications 04.06.18

Commentaires et critiques sur la proposition de loi du 24 May 2018 sur la protection du secret des affaires

La protection du secret des affaires – proposition de loi du 24 mai 2018 n° 984 AN et 506 SENAT

a) Dans cette proposition de loi, la présentation juridique de la protection du secret des affaires ne coïncide pas toujours avec celle de la doctrine et de la jurisprudence françaises que nous connaissons sur le savoir-faire et le secret de fabrique, alors que sur le fond, les notions devraient être essentiellement les mêmes (voir par exemple Paul MATHELY 1974 p. 845 et s. et 1991 p. 14).

b) L’expression « secret des affaires » reste pour le moins inappropriée, et même fausse puisque certaines « affaires » sont protégées même sans secret (art. L 151-1 1°).

I /

1/ La proposition de loi ne donne pas une analyse distincte de ce qui est l’objet et les conditions de sa protection par ce nouveau régime.

a) L’objet qui serait défini et protégeable et aux articles L 151-1 et 2, englobe-t-il également le secret de fabrique, le secret commercial ou de service (voir également L 151-4 § 2), les résultats des recherches qu’elles soient industrielles, académiques, scientifiques ou universitaires … (voir également art. L 151-3).

b) Les conditions de protection ne semblent pas toujours cohérentes aux articles L 151-1 et 2.

Car pour être protégée, l’information a seulement besoin de ne pas être en elle-même ou dans sa configuration et son assemblage, « généralement connue ou aisément accessible … » dans le secteur.

Au contraire, les articles L 151-1 2°, 3° et L 151-2A évoquent le caractère secret de l’information, alors qu’il s’agit sans doute plus d’une « confidentialité » voulue par son auteur ou réalisateur.

2/ La proposition de loi ne commet-elle toujours pas, à l’article L 515-2 A, une confusion entre :

– l’auteur ou le réalisateur de l’information qui a droit à la protection du secret des affaires

– le « propriétaire » qui détient tous les attributs du droit de propriété sur ce bien incorporel

– et ses ayants-cause, tel un cessionnaire total ou partiel, un licencié exclusif ou non, qui par nature n’aurait que le droit de l’utiliser, sans pouvoir la divulguer ou la revendre.

L’expression « détenteur légitime », notamment aux articles L 151-2A, 151-3 et 4, ne prête-t-elle pas à confusion avec la notion française classique d’un simple possesseur qui ne bénéficie pas de tous les attributs du droit de propriété sur le bien incorporel ?

3/ N’aurait-il pas été plus simple de prévoir aux articles L 515-3 à 5 et 152-1 et s., que l’atteinte au secret des affaires est réalisé, en l’absence de consentement du titulaire, notamment par voie d’accès, d’usurpation, de communication et/ou de divulgation ?

4/ a) Aux termes de l’article L 152-2 I, le Juge n’a pas l’obligation de prononcer des mesures d’interdiction, notamment si l’interdiction est « disproportionnée ».

Il en est de même de la destruction, de la confiscation et du rappel des circuits commerciaux (L 152-2 II).

b) Aux termes de l’article L 152-2-1, ces mesures d’interdiction et de destruction … (art. L 152-2 I à III) peuvent être remplacées à la demande de la victime par une indemnité financière, si ces mesures d’interdiction causent au délinquant « un dommage disproportionné », alors qu’il était de bonne foi et que le versement de cette indemnité « paraît raisonnablement satisfaisant ».

Il est surprenant de lire que l’article L 152-2-1 alinéa 5 interdit de fixer cette indemnité au-dessus du prix de l’autorisation, alors que l’article L 152-3 alinéa 5 ne l’interdit pas pour la « somme forfaitaire », et que les articles L 331-1-3, 521-7, 615-7 et 716-4 CPI l’imposent en faveur de la victime qui la demande.

5/ a) La proposition de loi ne prévoit aucune durée quant à la protection de ce secret des affaires.

Cette durée serait-elle perpétuelle ? Tant que les conditions prévues à l’article L 151-1 demeurent sur l’accès difficile, la valeur commerciale et la prévention du secret ?

b) Pour autant, la proposition de loi n’interdit pas au Juge de prononcer une interdiction perpétuelle, tout en prévoyant qu’il peut en prononcer de temporaire.

i. Une interdiction perpétuelle avait déjà été prévue dans la jurisprudence française (voir TGI Paris 23 mars 2004 RG 02/08.140 SCHILLING PUNKER / BAXI CICH).

Les articles L 152-2 I et III ne fixent pas de limite déterminée aux mesures d’interdiction.

Car la « durée fixée doit être suffisante pour éliminer tout avantage commercial ou économique … » que le délinquant aurait pu dans le futur « tirer de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation illicite du secret des affaires » (article L 152-2 III).

iii. En toute hypothèse, aux termes de l’article L 152-2 IV alinéa 2, le délinquant peut demander à ce que le Juge mette fin à de telles mesures d’interdiction « pour des raisons qui ne dépendent pas, directement ou indirectement, de lui » [sic].

c) La durée du prix de l’autorisation n’est pas non plus déterminée aux articles L 152- 2-1 alinéa 5 et 152-3 alinéa 5, sauf à retenir la durée des mesures d’interdiction.

II /

1/ La prescription quinquennale de l’action relative à une atteinte au secret des affaires commence à courir « à compter des faits qui en sont la cause » et non « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre le dernier fait lui permettant de l’exercer » comme le prévoient l’article 12 de l’ordonnance du 9 mai 2018 pour remplacer l’article L 615-8 CPI, ainsi que le nouvel article 2224 du Code Civil.

2/ Une amende civile est prévue à l’article L 152-6 en cas de « procédure dilatoire ou abusive ». Son montant ne peut être supérieur à 20% du montant de la demande de dommagesintérêts. Et en l’absence de tels dommages-intérêts, elle ne peut excéder 60.000€.

3/ L’article L 152-5 ne prévoit pas que les mesures de publicité pourront être ordonnées aux frais « avancés » du délinquant.

III /

Les articles L 153-1 et 2 de cette proposition de loi tentent de régler la protection d’un secret des affaires devant les Juges commerciaux et civils.

1/ a) Le Juge peut prendre seul connaissance de la pièce prétendument « secrète », afin de décider s’il convient ou non de limiter sa communication … sous une forme de résumé ou d’en restreindre l’accès :

pour chacune des parties,

– au plus à une personne physique

– et une personne habilitée à l’assister ou la représenter » (article L 153-1 1°) [sic].

  1. b) Les débats pourront avoir lieu et la décision pourra être prononcée en chambre du conseil (articles L 153-1 2°).
  2. c) De manière « révolutionnaire », le Juge pourra « adapter la motivation» et « les modalités de la publication » de son jugement « aux nécessités de la protection du secret des affaires » (article L 153-1 3°) [sic].

2/ a) L’obligation de confidentialité des personnes désignées par le Juge « perdure à l’issue de la procédure » (article L 153-2 alinéa 5).

b) Enfin, rien ne dit que l’appel à l’encontre de ces différentes mesures, est suspensif,

contrairement à ce que prévoit le nouvel article L 77-13-2 du Code de la Justice

Administrative (p. 12 de la proposition de loi).

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