Commentaire de la jurisprudence sur les PV de constat d’achat

20.03.2018Articles et publications

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Thomas CUCHE Avocat associé

Articles et publications 20.03.18

Commentaire de la jurisprudence sur les PV de constat d’achat

L’application de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 relatif aux rôles des stagiaires en matière de constat d’achat  a donné lieu à deux décisions contradictoires du TGI de Paris les 1er et 22 décembre 2017.

La première chambre civile de la Cour de cassation a remis en cause, par un arrêt du 25 janvier 2017, une pratique répandue en matière de constat d’achat : le stagiaire de l’avocat ne peut plus assister l’huissier instrumentaire dans cette tâche.

Très critiqué en doctrine, cet arrêt a été suivi de deux décisions du TGI de Paris datées du 1er décembre 2017 et du 22 décembre 2017, dont les solutions sont contraires.

Le contexte jurisprudentiel relatif au constat d’achat

Véritable moyen de preuve et souvent préalable à une requête en saisie-contrefaçon, le constat d’achat est admis par la jurisprudence depuis longtemps (CA Paris 25 oct. 1993), et a vu son régime se construire au fil des décisions de justice.

Il convient de rappeler à cet égard que l’huissier ne peut effectuer l’acte d’achat lui-même sans y être préalablement autorisé (voir notamment TGI Paris, 3e ch. 8 novembre 2011) et ce en raison des règles consacrées à la profession (l’huissier ne pouvant effectuer que des constations matérielles) et doit constater l’achat depuis la voie publique (CA Paris, 29 janvier 2010).

Jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017, pouvait être tiers acheteur tout individu sans lien avec l’huissier. L’indépendance n’était appréciée que par rapport à l’huissier de justice.

La Cour a ainsi validé le fait que le tiers acheteur soit le directeur commercial de la société requérante au constat, au motif que cette circonstance « n’a aucune incidence sur le caractère objectif des constatations de l’huissier » (CA Paris, 27 octobre 2006).

Le TGI de Paris, par un jugement du 31 mai 2011, a également admis que les constatations matérielles de l’Huissier n’étaient pas affectées par le fait que l’achat constaté était réalisé par une personne salariée du cabinet d’avocats représentant la société requérante.

Jusqu’alors l’acte d’achat pouvait être, et était souvent, réalisé par le stagiaire de l’avocat.

L’arrêt du 25 janvier 2017 vient mettre un terme à cette pratique en cassant l’arrêt de la CA de Paris du 2 juin 2015 qui considérait que « la circonstance que la personne assistant l’huissier ait été, non pas membre, mais simple stagiaire du cabinet d’avocat de la société requérante, est sans incidence, dès lors qu’il n’est argué d’aucun stratagème déloyal qui lui aurait permis de procéder à l’achat ».

Au visa de l’article 6§1 de la CEDH et de l’article 9 du CPC, la Cour de cassation impose, au nom du droit à un procès équitable, que le tiers qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès verbal de constat d’achat soit indépendant de la partie requérante, ce qui ne semble pas pouvoir être le cas, d’après l’arrêt de la Cour, du stagiaire du cabinet d’avocats représentant cette partie.

Cette décision a été vivement critiquée par les praticiens en raison des difficultés évidentes qu’elle implique.

La jurisprudence apparemment contradictoire depuis l’arrêt de la 1ère chambre civile du 25 janvier 2017

Deux décisions sont intervenues depuis cet arrêt sur la question du tiers dans le cadre d’un constat d’achat, mais dont les solutions et raisonnements sont opposés.

Jugement du TGI de Paris, 1 ier décembre 2017, 3 e chambre, 3e section :

Un constat d’achat a été réalisé le 7 juin 2016 avec le concours du stagiaire de l’avocat de la société estimant ses droits contrefaits.

La société accusée de contrefaçon invoque la nullité du procès-verbal au motif qu’il a été réalisé avec le concours du stagiaire de l’avocat de la société requérante, et que cela ne remplit pas les garanties d’indépendance et d’impartialité nécessaires, et ce, en s’appuyant sur l’arrêt du 25 janvier 2017.

Le tribunal a écarté l’application de la jurisprudence du 25 janvier 2017 en considérant qu’elle ne devait pas être rétroactive.

Mais les juges ne s’arrêtent pas là, et entendent justifier la régularité du constat d’achat par un autre argument en indiquant ceci : « En outre, quand bien même l’assistant de l’huissier instrumentaire est effectivement en l’espèce, le stagiaire de l’avocat du requérant, il n’en demeure pas moins en l’espèce que l’intéressée est entrée dans le magasin sans être porteuse d’un quelconque objet en relation avec l’affaire et qu’elle en est ressortie quelques instants plus tard, avec un ticket de caisse et une ceinture Coach, ce que l’huissier a constaté (pièce n°12), sans que ne puisse être suspectée l’existence de quelconque manœuvre de celle-ci, qui ne saurait en tout état de cause se déduire de sa seule qualité de stagiaire du cabinet d’avocat du requérant. »

Le tribunal reprend la motivation de l’arrêt de la CA de Paris qui avait été cassé par l’arrêt du 25 janvier 2017, alors même que la société défenderesse invoquait la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation de façon explicite.

Il faut indiquer également que le constat d’achat en question n’était pas l’unique preuve à la disposition du tribunal pour fonder sa décision. Il n’était donc pas indispensable de le « sauver » puisqu’il l’écarte ensuite, et il n’était pas non plus nécessaire de souligner, comme l’a fait le tribunal, qu’il s’agissait d’une preuve loyale dont l’obtention était exempte de manœuvres.

Du fait de la formulation utilisée et de l’ensemble des éléments précités, il est possible d’en conclure que le tribunal a entendu s’opposer à l’arrêt de cassation de la Cour de cassation du 25 janvier 2017.

Jugement du TGI de Paris, 22 décembre 2017, 3e chambre, 2e section :

Ici encore les faits sont similaires, des produits argués de contrefaçon ont fait l’objet de constats d’achat par un huissier assisté du stagiaire du cabinet d’avocats représentant la société requérante.

Le tribunal reprend l’attendu de principe de la Cour de cassation et considère que « le droit au procès équitable consacré par l’article 6§1 de la CEDH, ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, commande que la personne qui assiste l’huissier […] soit indépendante de la partie requérante » et écarte ainsi les procès-verbaux des débats.

C’est donc un raisonnement identique et conforme à la « nouvelle » jurisprudence de la Cour de cassation que tient le TGI de Paris dans sa décision du 22 décembre 2017.

Conclusions

Ces deux jugements ont été rendus à quelques semaines d’intervalle.

Il reste maintenant à savoir si la Cour d’appel résistera à l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017.

A notre sens, l’appréciation de l’indépendance, ou non, du tiers n’a pas lieu d’être. En effet, seul doit être indépendant le constatant, à savoir l’huissier, pour donner une valeur probante supérieure au seul fait constaté par ses soins (la personne procédant à l’achat rentre dans un magasin les mains vides et en ressort avec un produit par exemple ; ce qui ne signifie pas pour autant que l’Huissier a constaté l’achat du produit). Le défendeur pourra toujours contester par une preuve simple les faits allégués et non constatés par l’huissier.

Affaire à suivre…

 

Ce commentaire est co-signé par Thomas Cuche & Diane Fay

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