Thierry MOLLET-VIÉVILLE Avocat associé

Articles et publications 04.04.22

Les brèves DTMV : Modèle industriel ou d’utilité ? Droit de priorité ?

Le dépôt d’un modèle industriel hors de l’Union Européenne (UE) confère-t-il un droit de priorité pour déposer un tel modèle dans l’UE ?

La réponse semblerait évidente.

Pourtant, l’art. 41 du Règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles [RDMC] maintenant de l’UE ne la donne pas ! Cet art. 41 ne vise en effet que le dessin, le modèle et … oh surprise … le « modèle d’utilité », mais pas le modèle industriel pour faire naître un tel droit de priorité.

N’est-ce pas une erreur de plume ? à corriger au plus vite ?

Chacun connait la différence essentielle entre ces deux régimes de modèle :

  • celui industriel qui comme le « patent design », tend à protéger l’aspect visuel (ou les formes ornementales) de son objet,
  • au contraire le modèle d’utilité qui comme le « Gebrauchsmuster », tend à en protéger ses fonctions techniques (ou ses formes fonctionnelles utiles), peu important son aspect ornemental.

Ce RDMC semble bien l’admettre :

  • puisqu’il associe le modèle industriel avec les Arrangements de La Haye et de Locarno, dans son titre et ses articles 25, 37, 40 et 106,
  • alors qu’il rapproche le modèle d’utilité, des brevets d’invention dans ses considérant (31) et article 96.

Il en est de même de la Directive 98/71 du 13 octobre 1998 dans ses considérant (7) et article 16, sans pour autant évoquer un « modèle industriel », ni le titre étranger qui donnerait droit à la priorité pour déposer dans l’UE.

C’est aussi ce à quoi nous font penser dans notre Convention de Paris de 1883, ses articles 1 2) et 4), 4 A.- 1), 4 C 1), 4 I, 4bis 1), 4ter, 5 D, 5bis 2), 5quater, 5quinquies, 11 1), 12 1) et 2) :

  • brevet d’invention, certificat d’auteur d’invention ou modèle d’utilité, d’une part,
  • et, d’autre part, dessin ou modèle industriel.

Pourquoi, alors, à son article 41, ce RDMC parle-t-il subitement de modèle d’utilité pour créer cette priorité, tout en y omettant le modèle industriel ?

Certes, la Convention de Paris permet, à son article 4 E, au dépôt de modèle d’utilité de faire naître un droit de priorité pour déposer hors de ses frontières un modèle industriel. Dans ce cas-là, le délai est de six mois et non pas de douze, comme en matière de brevet d’invention.

Mais le fameux Professeur Bodenhausen fait aussitôt remarquer dans son ouvrage (pp. 53 à 55) publié en 1969 par les BIRPI de l’époque qu’il est rare qu’une législation nationale (ou régionale) autorise un « chevauchement », autrement dit une seule protection commune pour un même article industriel dans ses aspects ornementaux et dans sa nouveauté technique.

Ce n’est pas ce régime que nous connaissons en Europe.

  • L’avenir nous dira si ces appareils de gymnastique ou de sport sont valablement protégés par les dessins enregistrés par l’EUIPO qui compte tenu des termes même de cet article 41 du RDMC, a admis dans ses décisions des 31 octobre 2018 et 13 juin 2019 que pouvait naître d’une demande PCT (qui englobe effectivement les modèles d’utilité), une priorité pour déposer un modèle dans l’UE.

Puisque cette solution n’était pas critiquée ni par le déposant, ni par l’EUIPO devant lui, le Tribunal de l’UE [TUE] a dû l’admettre dans sa décision du 14 avril 2021 [T-579/19], mais il en a étendu la durée de six à douze mois. Cette décision est maintenant frappée d’un pourvoi (déclaré recevable).

Et si certains venaient à penser qu’une demande PCT pouvait faire naître un droit de priorité pour déposer aussi une demande d’enregistrement de marque, au prétexte que son signe y a été décrit pour désigner ses produits ou services … s’agirait-il du « même objet », comme l’exige notre convention séculaire notamment à son article 4 C 4) ?

N’est-ce pas ce que le RDMC voulait reprendre à son article 41 1. selon son expression « pour le même dessin ou modèle ou pour le même modèle d’utilité » ?

Est-ce une des raisons pour lesquelles l’EUIPO a annoncé la possible instauration d’un modèle d’utilité dans l’UE ??

à suivre …

Thierry Mollet-Viéville, avocat à la Cour – DTMV, ancien président de l’AIPPI

thomas-cuche-auteur

Thomas CUCHE Avocat associé

Communiqué et Vie du Cabinet 14.03.22

Séminaire AIPPI FR/CEIPI : la protection du secret des affaires et les mesures raisonnables pour le protéger 

Séminaire AIPPI FR/CEIPI

Séminaire en ligne organisé par le groupe français de l’AIPPI et le CEIPI sur le thème « La protection du secret des affaires et les mesures raisonnables pour le protéger ».

Thomas Cuche est intervenu en sa qualité de co-président de la Commission Secrets des Affaires du Groupe Français de l’AIPPI.

 

Grimaud VALAT Avocat associé

Articles et publications 24.02.22

Le rapport sur « Le Data Altruisme » remis au gouvernement

Le rapport « Le Data Altruisme : Une initiative Européenne, les données au service de l’intérêt général » a été remis jeudi 24 février 2022 au Secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques Cédric O à l’Hôtel des Ministres du Ministère de l’Economie et des Finances publiques. Grimaud Valat est rapporteur de ce projet.

Retrouvez le rapport ici : https://www.human-technology-foundation.org/fr-news/rapport-altruisme-de-la-donnee

 

Lin NIN Avocat associé

Sarah LARBI Avocat

Articles et publications 10.02.22

Commentaire : arrêt de la Cour de Cassation du 13 janvier 2022 

Pour mémoire, la déclaration d’appel contient les chefs de jugement expressément critiqués, et doit être effectuée par voie électronique via le RPVA.

Cette diligence peut se heurter à une problématique d’ordre technique : celle de la limitation du nombre de caractères de l’objet de l’appel au sein de laquelle les chefs du jugement sont expressément critiqués !

C’est dans ces conditions que la circulaire JUSC1721995 C du 4 août 2017 a ouvert la possibilité aux déclarants de compléter la déclaration d’appel comme suit :

« Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel. L’attention du greffe et de la partie adverse sur l’existence de la pièce jointe pourra opportunément être attirée par la mention de son existence dans la déclaration d’appel. » (cf. pièce jointe, p.7/37).

Par un arrêt du 13 janvier 2022, la Haute juridiction est venue encadrer cette dérogation.

Finie la pratique consistant à annexer au formulaire de déclaration d’appel RPVA, un document comprenant les chefs du jugement expressément critiqués peu important le dépassement ou non de la limite de caractères.

Cet arrêt appelle à la vigilance des déclarants, notamment en ce qu’il rappelle (1) la nécessité de mentionner les chefs critiqués du jugement objet de l’appel dans la déclaration d’appel, et (2) l’absence de valeur d’une annexe de la déclaration d’appel à défaut pour le déclarant de démontrer que pour des raisons d’ordre techniques, il n’a pas pu déclarer son appel via le formulaire RPVA.

Et à défaut de vigilance, la déclaration d’appel encourt la nullité.

Et pour cause, l’annexe qui ne serait pas justifiée par l’empêchement légitime, n’emporte pas dévolution du litige à la Cour d’appel, qui de facto, n’est pas saisie.

Cette décision ne constitue pas un revirement de jurisprudence, mais un rappel « à l’ordre » non sans incidence sur la pratique et qui peut s’avérer être une source de contentieux considérable.

D’autant plus qu’en cas de nullité, la régularisation d’un nouvel appel n’est possible que si le délai d’appel n’a pas expiré…

Eleonore Gaspar

Eléonore GASPAR Avocat associé

Articles et publications 07.02.22

Panorama des évolutions en droit d’auteur et droit des marques

Dans un numéro spécial de la Revue Francophone de la Propriété Intellectuelle, intitulé « Eclairage sur les réformes de l’Union Européenne – Panorama des évolutions en droit d’auteur et droit des marques », Eléonore Gaspar récapitule les modifications apportées aux règles de rémunération des créateurs suite à la transposition en France par l’ordonnance du 12 mai 2021 des articles 18 à 22 de la Directive DAMUN.

-> Retrouvez l’article ici

 

Thierry MOLLET-VIÉVILLE Avocat associé

Articles et publications 21.01.22

Les mesures de saisie-contrefaçon et d’interdiction sont-elles toujours proportionnées ?

Le 28 septembre 2020, Thierry Mollet-Viéville intervenait dans le cadre d’une séance de l’AAPI et s’interrogeait sur la proportionnalité des mesures de saisie-contrefaçon et d’interdiction. Il publie aujourd’hui ses notes.

 

Intervention de Me Thierry Mollet-Viéville à l’AAPI

 

Je vous remercie Monsieur le Président,

Chers Amis,

A la suite du Bâtonnier CHARRIERE-BOURNAZEL, à propos de la proportionnalité dans la Propriété Intellectuelle, je suis effectivement dans une certaine perplexité.

Où allons-nous ?

J’espère que nous prenons la bonne direction ; j’avoue qu’aujourd’hui, au vu de la jurisprudence que j’ai pu voir passer ces derniers temps, j’ai plusieurs interrogations.

Comme beaucoup d’entre nous, mes hésitations résultent de la nouveauté même de cette notion de proportionnalité qui dans la Propriété Intellectuelle est bien récente.

Car nos conventions internationales de Paris en 1883 sur la Propriété Industrielle, de Berne et de Genève à des dates plus récentes sur les droits d’auteur et de Rome de 1961 sur les artistes et interprètes, ne parlent pas de proportionnalité. On y parle en effet d’abord d’un minimum de protection des créations.

Cette notion de proportionnalité ou d’équité et d’équilibre comme le disait Monsieur le Bâtonnier, n’est apparue que dans les conventions européennes, la CEDH en 1950 et la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE en 2000, où l’on parle effectivement de la protection de la Propriété Intellectuelle comme l’un de ses principes fondamentaux, et d’une manière générale de la proportionnalité parmi d’autres circonstances à retenir.

Je me permettrais d’en ajouter une à celles que Monsieur le Bâtonnier exposait, « l’abus de droit » qui est aussi sanctionné par cette Charte de 2000.

J’aimerais au préalable faire quelques observations d’ordre général :

  • Il est difficile notamment pour leurs sanctions, d’embrasser comme le souhaiteraient nos législateurs, en une seule fois et de la même manière, tous les domaines de la Propriété Intellectuelle. Elle pourrait d’après moi, se partager en quatre, selon une division verticale et selon une division horizontale.

Selon une division verticale, la propriété intellectuelle regroupe deux grands domaines :

  • la Propriété Littéraire et Artistique qui pour des œuvres arbitraires touche notamment à la personnalité et à la culture de chacun,
  • et la Propriété Industrielle dont les brevets, les marques et les modèles peuvent toucher pour des créations d’ordre technique, fonctionnel et/ou seulement utile des intérêts fondamentaux comme la santé, la biologie, la télécommunication et maintenant l’intelligence artificielle.

Selon une division horizontale, que ce soit en matière de droits d’auteur, de modèle, de marque et même de brevet, les atteintes y sont de gravités nettement différentes :

  • la piraterie qui consiste à vouloir faire passer le faux pour le vrai, doit effectivement être rapidement et sévèrement sanctionnée, notamment par le juge pénal ;
  • d’autres contrefaçons relèvent alors seulement de la violation d’un droit ; et savoir si ce droit a été respecté relève souvent d’une appréciation beaucoup plus sophistiquée.

En général, le contrefacteur est condamné par le juge civil même si sa mauvaise foi n’a pas été démontrée. Même dans ce dernier cas, il paraît juste et proportionné que la contrefaçon cesse et que sa victime soit entièrement réparée de tous ses préjudices, conformément à nos principes généraux sur la responsabilité civile.

  • Les Adpic de 1994 et la Directive 2004 imposent d’abord aux Etats de protéger la propriété intellectuelle, et pour cela de prévoir des mesures « efficaces et dissuasives».

Les Adpic en parlent quatre fois [art. 41.1 et 2, 42 et 50], alors que la Directive n’en parle qu’une seule fois [art. 3].

Dans ces deux textes, ces mesures efficaces et dissuasives doivent néanmoins être proportionnées. La Directive en parle quatre fois dans ses considérants (22, 24, 25 et 31) et quatre fois dans ses articles [3, 10, 12 et 14], alors que les Adpic n’en parlent qu’une seule fois [art. 46].

Mais il convient de rappeler que ces textes internationaux n’ont pas pour but d’harmoniser à un seul et même niveau, la propriété intellectuelle dans tous les Etats du monde notamment de l’Europe ; depuis longtemps, il est convenu que de telles conventions imposent un minimum, mais qu’elles permettent à leurs Membres de prendre dans leur droit positif, des mesures plus favorables aux titulaires, ce qui profite aussi bien à leurs ressortissants qu’aux titulaires étrangers.

C’est ce que clairement garantissent les Adpic [art. 1.1] et la Directive (considérant 21) [art. 2.1 et 16].

La Directive prévoit même que de telles mesures plus favorables devraient être offertes aux autres Etats de l’UE qui ne les connaissent pas encore, tout comme la Convention de Paris l’autorise encore aujourd’hui, sans pour autant imposer à tous les pays un maximum ni même une harmonisation à un niveau uniforme pour tous.

Je reviendrai plus tard sur ce point à propos de la saisie-contrefaçon.

  • Je voudrais ici faire encore une remarque : qu’est-ce qui doit être proportionné ?

Est-ce la loi voulue par le législateur, ou est-ce son application par le juge ?

La plupart des législateurs n’estiment-ils pas remplir leurs devoirs en instituant des règles en elles-mêmes équitables et justes ?

Ou alors est-ce au juge dans l’application qu’il fait de la loi, de toujours rechercher et motiver la proportionnalité dans la mesure qu’il prononce ?

Bien sûr en tant que défenseur, j’aurais souvent tendance à demander au juge de prendre en considération la situation de mon client face à celle de ses concurrents ou partenaires.

Le refus d’une saisie-contrefaçon est-il en France disproportionné ?

Depuis plus d’un siècle, la France avait permis à la victime d’une contrefaçon d’exiger de son juge de pouvoir la saisir en tous lieux.

N’est-ce pas, en raison du système accusatoire des pays latins comme la France, une mesure plus favorable au titulaire qui devrait échapper à la simple faculté seulement envisagée à l’article 7 de cette Directive, que d’obliger cette victime à fournir à son juge, des indices pour le convaincre de lui autoriser ou au contraire de lui refuser cette saisie ?

Ne s’agit-il pas d’une simple collecte de preuve que cette victime doit mettre sur le bureau de son juge, à défaut de quoi elle sera déboutée, et en définitive privée d’accès à la Justice ? Et cette preuve doit être triple : l’objet copiant ou imitant, l’acte interdit et enfin son responsable.

  • Autrement dit, la proportionnalité que ces textes internationaux imposeraient pour ces mesures telles que la saisie-contrefaçon, ne doit-elle pas être appréciée en fonction non seulement de son système judiciaire national et ce dans le cadre général de l’ensemble de son droit positif, mais aussi en comparaison avec les systèmes connus dans les autres pays visés par ces textes ?

Dans ces conditions et selon notre système accusatoire, la saisie-contrefaçon de plein droit aux risques et périls du titulaire n’est-elle pas par nature proportionnée, notamment au regard de notre Europe, puisqu’en France cette victime :

  • ne bénéficie pas des procédures de discovery ou de disclosure connues en Grande-Bretagne, ni de la règle allemande selon laquelle chaque partie a l’obligation d’exposer la vérité des faits qu’elle connait (§ 178 ZPO)
  • se verrait déboutée par le juge, le défendeur n’ayant même pas à contester le fait allégué mais à soulever seulement une insuffisance de la preuve sur les épaules du demandeur ?

En effet en défense, le contrefacteur n’est pas obligé en France de reconnaître ou d’avouer la véracité du fait allégué par le demandeur, même s’il le connait.

Par conséquent, serait-ce proportionné que de refuser la saisie-contrefaçon à un breveté en France au motif qu’en l’absence d’indice de la contrefaçon, ce juge n’est pas convaincu de son existence ? N’est-ce pas estimer qu’a priori les déclarations du requérant ne sont pas sincères ni loyales ?

C’est ainsi qu’un breveté sera dans l’impossibilité de pouvoir apporter au juge français ne serait-ce qu’un indice de la mise en œuvre de son procédé dans l’usine de son concurrent déloyal ; il ne pourrait donc jamais faire respecter ses droits en France …

De même le titulaire se verra obligé d’intervenir sur le marché auprès de plusieurs détaillants pour pouvoir apporter à ce juge un indice convaincant de l’origine de leurs produits contrefaisants, alors que ses propres réseaux commerciaux lui ont pourtant fait connaître l’identité de la source de telles contrefaçons, à l’encontre de laquelle seule, il serait plus efficace, opportun et économique d’intervenir ?

  • Je me permets ici pour éclairer notre auditoire, de rappeler les travaux préparatoires du Parlement de notre UE dans les années 2000 pour élaborer cette Directive 2004.

Car à l’époque ses députés cherchaient moins une solution harmonisée unique pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle dans tous les pays de l’UE, qu’à compiler les avantages que certains Etats pouvaient connaître et ce pour en faire profiter les autres.

C’est à ce titre qu’il convenait de proposer par exemple le rappel des contrefaçons hors des Pays-Bas, les bénéfices imputables à la contrefaçon hors d’Allemagne, le droit à l’information hors de Grande-Bretagne, la saisie contrefaçon hors de France …

Ce à quoi les Britanniques et les Allemands avaient alors répondu qu’ils n’avaient pas besoin de cette saisie à la française [sauf à leurs juges de pouvoir la refuser], puisque dans leur pays, la discovery ou la disclosure anglaises leur permet en cours de procédure de tout connaître et que devant le juge allemand les parties ont l’obligation d’exposer les faits sans mentir, ce qui dans la plupart des cas rend en effet inutile et inopportun un « raid » pour le moins intrusif chez un concurrent même indélicat.

  • Certes, la dernière jurisprudence française montre qu’en effet l’éventuelle obligation de fournir des indices de la contrefaçon évoquée à l’article 7 de cette Directive 2004, n’a pas été transposée de par la claire volonté de notre législateur national dans le droit positif français.

Mais sous le couvert de la proportionnalité, nos juges n’imposent-ils pas toujours ces mêmes exigences ?

A ce titre, l’exigence d’une loyauté et d’une transparence exhaustives de la part du requérant est tout à fait justifiée pour autoriser la saisie.

Ainsi, c’est bien au juge de la saisie qu’il appartient d’apprécier si des instances ou des décisions parallèles peuvent influer sa décision ; la lecture de certaines requêtes montre à l’évidence que le titulaire ne cherche pas à collecter une preuve de la contrefaçon, mais à découvrir des informations secrètes, confidentielles ou même seulement personnelles d’un concurrent qui au surplus ne sont pas relatives à l’atteinte de son titre.

Mais par principe, la saisie contrefaçon ne devrait-elle pas toujours être autorisée pour collecter même de manière forcée, cette triple preuve de :

  • l’objet incriminé de contrefaçon,
  • l’acte interdit par la loi,
  • et de la personne qui en est responsable ?

Le refus par le juge de la saisie reste bien sûr possible et même nécessaire non seulement lorsque la titularité du requérant lui paraît incertaine (alors que les Offices en général présument sincères et loyales les seules déclarations du déposant pourtant propriétaire seulement apparent), mais  aussi lorsque les circonstances exposées par le requérant lui apparaissent illégitimes, et cette fois-ci selon une motivation spécifique à l’espèce, susceptible d’être contrôlée par les juridictions supérieures.

Et le simple bon sens exige que ce qui est relatif à la contrefaçon alléguée ne peut jamais être caché à un juge. C’est bien ce que confirment les systèmes judiciaires allemand et britannique.

Par conséquent ne doit pas être autorisé ni saisi tout ce qui n’est pas relatif à la contrefaçon, mais que doit être saisi tout ce qui est relatif à la contrefaçon, même si de tels éléments sont secrets, confidentiels ou personnels.

Car dans ce dernier cas, le saisi n’a qu’à invoquer le juste motif pour placer de tels éléments dans une enveloppe scellée qu’un expert désigné par le juge ou les parties peut sélectionner dans le cadre d’un cercle de confidentialité, que nous connaissons depuis des décennies.

Puis dans cette sélection des éléments saisis toujours placés sous enveloppe scellée, il peut encore être mis de côté ce qui ne présentera un véritable intérêt, que lorsque le principe de la contrefaçon aura été décidé par le juge. Il en est ainsi par exemple de l’identité des clients, des marges brutes et nettes du saisi …

  • Avec la mondialisation, nous savons que les contrefaçons sont rarement nationales, mais bien transfrontalières.

A ce titre, dans le cadre d’une coopération judiciaire au moins au sein de l’UE, il me paraît indispensable de pouvoir effectivement apporter à un juge étranger les preuves collectées en France, et inversement de l’étranger à un juge français.

Est-il nécessaire de rappeler que ces preuves ne peuvent servir qu’à la défense des droits de propriété intellectuelle du saisissant et ce dans l’UE et le monde, et qu’a priori il ne saurait être question qu’elles puissent être révélées à un journaliste ou à un autre concurrent !

Même un juge américain autorise que des éléments d’une « discovery » et même de son « protective order » puissent être utilisés devant le juge étranger notamment français.

L’interdiction est-elle toujours proportionnée ?

Une fois que le juge estime que la contrefaçon existe, doit-il toujours l’interdire pour le futur ?

  • Jusque dans les années 1970, l’interdiction de poursuive la contrefaçon, notamment en matière de brevet, n’entrait effectivement en vigueur qu’avec l’arrêt de la Cour d’appel.

Puis avec la réforme de la procédure française, c’est de manière généralisée que le Tribunal a assorti sa mesure d’interdiction de l’exécution provisoire malgré l’appel. Et certains alors de dire qu’ainsi le justiciable ne bénéficiait plus d’un véritable second degré de juridiction.

  • En 1984, face à l’allongement de nos procès, l’interdiction provisoire immédiate a été instituée. Elle était alors assortie de cinq conditions ; il fallait que :

. le brevet soit exploité,

. le préjudice du breveté soit difficilement réparable par de l’argent,

. l’action au fond soit sérieuse

. et introduite rapidement,

. et ce devant un juge en la forme des référés.

C’est dire qu’avec la rapidité d’un référé, un juge examinait le fond de l’affaire.

Mais depuis, ces cinq conditions ont été supprimées. Il faut bien se le rappeler.

Le législateur français a supprimé notamment le caractère difficilement réparable du préjudice du breveté. Mais sous le couvert de la proportionnalité, cette condition n’est-elle pas reprise aujourd’hui ?

N’en est-il pas de même lorsque ce juge de l’interdiction provisoire estime que la contrefaçon n’est pas vraisemblable au motif que la validité du brevet est sérieusement contestée [souvent dans de longues conclusions déposées la veille de son audience par le défendeur qui jusque-là ne l’avait jamais contestée] ?

N’y a-t-il pas ici une discordance entre notre jurisprudence actuelle appliquant la Directive 2004 d’une part et d’autre part nos Codes français de Procédure Civile et de la Propriété Intellectuelle ce dernier n’exigeant littéralement qu’une certitude quant à la titularité et qu’une conviction quant à la vraisemblance de la contrefaçon, alors que sous prétexte de la proportionnalité, ce juge de l’interdiction provisoire estime, malgré la précipitation d’un référé, devoir même au titre de l’activité inventive réexaminer une nouvelle fois la validité d’un brevet pourtant délivré après examen ?

C’est bien ce que la Cour de Paris avait dans les années 2010 critiqué, notamment dans un arrêt dont le pourvoi en cassation fut unilatéralement retiré par le génériqueur devenu interdit.

  • Dans cette appréciation de la proportionnalité de l’interdiction à prononcer ou à refuser, ne devrions-nous pas revenir à l’objet essentiel de nos titres comme le brevet et la marque ?

S’agit-il d’un droit à interdire ou d’un simple droit à récompense ?

Déjà dans les années 1970, notre Cour de Justice estimait que l’objet essentiel d’un brevet ou d’une marque était de pouvoir être le seul à mettre sur le marché son objet breveté ou marqué.

Dans ces conditions, celui qui n’exploite pas son titre, a-t-il le droit d’exclure une entreprise du marché qu’il n’occupe pas ?

C’est pourquoi le législateur prévoit maintenant que l’interdiction n’a plus lieu d’être si le titulaire de la marque ne l’exploite pas sur le marché en cause.

Ne devrait-il pas en être de même lorsque le brevet n’est pas exploité, même si son titulaire ne peut en être déclaré déchu ?

  • Je voudrais faire ici une parenthèse pour rappeler que déjà dans les années 70, la Commission de Bruxelles avait estimé que si le breveté avait accepté de donner plusieurs licences, autrement dit s’il avait accepté de démembrer son monopole sur le marché, pouvait alors dans ces conditions être discriminatoire le fait de refuser une licence supplémentaire à un nouvel arrivant.
  • Aujourd’hui nous entendons beaucoup parler de ces brevets dits « essentiels» dont la mise en œuvre serait nécessaire pour être conforme à certaines normes, par exemple celles de l’Etsi pour les téléphones portables (2, 3, 4 et 5G).

Comment le titulaire d’un portefeuille de brevets dans ce domaine, peut-il estimer détenir un monopole industriel que le juge devrait protéger, alors qu’ayant accepté de le démembrer au profit de plusieurs opérateurs sur un même marché, il ne retire de l’exploitation de ses brevets que des redevances financières ? Dans ce cas-là, n’ayant perdu aucun bénéfice industriel, son droit ne devrait-il pas être réduit à obtenir sa seule récompense financière ?

L’enjeu me paraît ici d’autant plus important que la situation économique est aujourd’hui totalement différente de celle connue à la fin du XXème siècle, où ces brevetés étaient eux-mêmes les constructeurs ou les distributeurs de leurs inventions ; c’est pourquoi dans ces différents comités de normes, ils s’échangeaient librement des licences croisées gratuites de tous leurs brevets …

Mais aujourd’hui, ces portefeuilles de brevets ne sont-ils pas détenus non plus par ces industriels ou distributeurs, mais par des financiers souvent plus soucieux de la valorisation de leurs capitaux ?

Les questions que je me permets d’évoquer ici, sont d’autant plus délicates que plusieurs professionnels reconnaissent officiellement que seul un tiers de ces brevets essentiels (déclarés comme tels par leur titulaire, en effet unilatéralement et sans contrôle) seraient pertinents.

Comme souvent pour les brevets délivrés par l’OEB, un tiers de ces brevets essentiels serait annulable par un juge [surtout si les revendications ont été rédigées après l’adoption de normes auxquelles son titulaire a pu avoir participé].

Un deuxième tiers de ces brevets essentiels porterait sur des caractéristiques qui dans les normes ne sont pas toujours obligatoires, mais seulement recommandées ou facultatives.

Par conséquent le fait qu’une entreprise déclare son produit compatible avec la norme n’est pas la démonstration de la matérialité de la contrefaçon, puisque selon ces mêmes statistiques il y a deux chances sur trois que son produit ne soit pas contrefaisant.

Enfin je remarque que notamment devant l’Etsi, le titulaire prend « l’engagement irrévocable de concéder une licence – dite Frand – irrévocable à l’entreprise qui la lui demandera ».

N’est-ce pas une renonciation à agir en contrefaçon de brevet, ou en tous les cas à demander au moins dans un premier temps l’interdiction notamment provisoire immédiate de poursuivre la fabrication et/ou la commercialisation d’un produit généralement très complexe, au prétexte qu’un détail technique serait compatible avec la norme au demeurant parfois facultative ou seulement recommandée ?

Le breveté essentiel ne détiendrait-il pas plutôt une action précontractuelle ou en rupture abusive des négociations, l’exploitation de ses droits se limitant au surplus à des rentrées d’argent ?

Ici, l’interdiction me parait disproportionnée, car elle peut entrainer un déséquilibre dans la situation des parties, en donnant au titulaire un avantage injuste à pouvoir sous la menace d’une interdiction imposer une licence plus chère ou contraignante qui ne serait pas conforme aux bons usages [alors qu’en effet, le contentieux ne porte en général que sur quelques brevets de détail dans des produits complexes et couvrant seulement certains pays, que cette licence Frand est mondiale et qu’elle porte sur un lot de nombreux brevets dont on a vu qu’un tiers seulement serait pertinent].

C’est dans ce même sens que la Cour de Paris avait envisagé pour ne pas retenir lors de la fixation du montant de la redevance indemnitaire due pour les contrefaçons passées, le taux de la redevance de licence que le contrefacteur condamné dut signer au lendemain de l’arrêt prononçant l’interdiction, et ce pour pouvoir continuer à livrer son principal client.

Conclusion

Le temps expiré pour moi m’empêche d’approfondir cette question des dommages proportionnés pour réparer les préjudices subis par les victimes de contrefaçons, notamment selon la bonne ou mauvaise foi du condamné, ou encore selon l’idée généreuse de mon professeur Jean Carbonnier « d’une victime riche et d’un responsable pauvre … ».

La jurisprudence de ces dernières années montre en effet qu’il est souhaitable de pouvoir suivre ces principes d’équilibre et de proportionnalité. Mais en tant que conseil d’entrepreneurs, je dois aujourd’hui avouer que la prévisibilité d’une décision judiciaire ne s’en trouve pas encore renforcée.

Je vous remercie Monsieur le Président.

Thierry Mollet-Viéville

avocat à la Cour

Thierry MOLLET-VIÉVILLE Avocat associé

Articles et publications 03.01.22

Les brèves DTMV : La compétence et les pouvoirs du juge parisien des brevets

Dans le contentieux des brevets en France, voici de bonnes nouvelles !

Les juges parisiens viennent en effet de décider le 7 décembre dernier [RG 20/12558], de pouvoir apprécier le respect des obligations contractées en vertu du droit français par le breveté essentiel PHILIPS basé aux Pays-Bas et par l’association régie par la loi française du 1er août 1901, l’ETSI (Institut Européen des Normes de Télécommunication) basé en France à Valbonne-Sophia Antipolis, y compris à la demande d’un tiers comme le fabricant chinois XIAOMI de téléphones portables 3G et 4G.

Les demandes judiciaires

A défaut depuis 2016 d’une licence conclue entre eux, PHILIPS assigne en octobre 2020 XIAOMI en contrefaçon de certains des brevets de son portefeuille, devant quatre juges distincts selon leur droit national : allemand, espagnol, néerlandais et britannique.

Un mois après, estimant avoir dû bénéficier d’une licence Frand, XIAOMI assigne devant notre Tribunal Judiciaire de Paris, PHILIPS et l’ETSI. Car ils n’auraient pas respecté les règles relatives aux droits de propriété intellectuelle élaborées par l’ETSI, ce qui procède d’une même situation de fait [p.15 dernier § de l’ordonnance du Jme de Paris]. XIAOMI précise que ses demandes visent à obtenir de l’ETSI qu’il lui garantisse l’accès aux normes qu’il édicte [p.4 § 4 de cette ordonnance], et par conséquent au marché commun auquel l’ETSI doit tendre [p.9 § 5 du jugement de ce Tribunal].

PHILIPS n’aurait pas non plus respecté ses engagements demandés par l’ETSI lors de son adhésion au contrat d’association [p.4 dernier § de ce jugement], notamment celui d’octroyer irrévocablement à XIAOMI comme à tout constructeur ou opérateur qui la sollicite, une licence irrévocable aux conditions Frand qui sont décrites notamment dans les articles 6, 8 et 15 de l’annexe 6 des règles de procédure de l’ETSI [p.4 § 3 et p.5 § 3 et 4 du jugement].

Les décisions

« Quoique de nature contractuelle, il n’est pas douteux que la demande nécessite ici l’examen de la méconnaissance d’un droit de brevet, et ici un portefeuille de brevets déclarés comme essentiels par leur titulaire » [p. 12 § 4 de l’ordonnance]. Par conséquent c’est bien le Tribunal Judiciaire de brevet de Paris qui est matériellement compétent.

Après avoir rappelé l’état du droit dit par la CJUE sur la compétence d’un juge dans l’UE en cas de pluralité de défendeurs  [p.12 derniers § et s. de l’ordonnance], ce juge parisien estime que le contrat d’association entre la défenderesse PHILIPS même basée aux Pays-Bas et l’autre défendeur l’ETSI basé en France, tout comme l’accord tripartite que constitue la stipulation (art. 1205  et s. C.Civ.) de l’ETSI promise par PHILIPS pour autrui c’est-à-dire au bénéfice de XIAOMI [p. 16 § 1 et 4 de l’ordonnance] sont tous les deux soumis au droit français ce qui ne fait pas « obstacle à la reconnaissance d’une identité de situation de droit » [p.16 § 1, 2 et 4 de l’ordonnance].

De plus, « seraient inconciliables et non pas simplement divergentes »

[p. 16 § 3 de l’ordonnance] :

  • « la décision qui enjoindrait à l’ETSI de concourir à la concession d’une licence au besoin par la mise en œuvre des mesures prévues par son règlement intérieur »,
  • et la décision d’un autre juge « qui estimerait que […] PHILIPS [a] respecté [son] obligation de proposer [… à] XIAOMI une licence à des conditions Frand,
  • auxquelles pourrait aboutir un jugement séparé des demandes » de XIAOMI.

Enfin il n’y a pas lieu pour les juges français de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision d’un des quatre juges étrangers déjà saisis, puisqu’aucun d’entre eux n’est en charge de cette licence Frand demandée en France par XIAOMI, notamment quant aux taux et assiette de sa redevance [p. 16 § 6 de l’ordonnance].

L’avenir

Restera à savoir :

  • dans le cas où la Médiation proposée par le juge français notamment sous l’égide de l’OMPI [p.18 dernier § de l’ordonnance] échoue,
  • si les demandes de XIAOMI sont bien fondées [p.10 § 3 et 4 du jugement] :
    • que ce soit sur l’engagement irrévocable de PHILIPS de lui consentir une licence irrévocable,
    • ou que ce soit sur la prétendue « passivité fautive » de l’ETSI [p.9 § 6 du jugement]

Conclusions

Mais surtout on ne peut que se féliciter de voir le juge français s’ouvrir ainsi à l’international pour apprécier des situations hors de France relevant des droits des brevets, surtout si elles sont soumises au droit français.

Espérons avec autant de force, qu’aussi pour les atteintes de brevets, il voudra de même apprécier selon leur loi locale les actes de contrefaçon commis également hors de son territoire – au moins en Europe. Ce serait, comme pour les victimes de contrefaçons de leurs œuvres, marques, modèles ou encore de concurrence déloyale, bien utile aux entreprises notamment françaises qui ne voudraient ou ne pourraient pas supporter tous les aléas de notre prochaine « Juridiction Unifiée de Brevet ».

 

 

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