Le dépôt d’un modèle industriel hors de l’Union Européenne (UE) confère-t-il un droit de priorité pour déposer un tel modèle dans l’UE ?
La réponse semblerait évidente.
Pourtant, l’art. 41 du Règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles [RDMC] maintenant de l’UE ne la donne pas ! Cet art. 41 ne vise en effet que le dessin, le modèle et … oh surprise … le « modèle d’utilité », mais pas le modèle industriel pour faire naître un tel droit de priorité.
N’est-ce pas une erreur de plume ? à corriger au plus vite ?
Chacun connait la différence essentielle entre ces deux régimes de modèle :
- celui industriel qui comme le « patent design », tend à protéger l’aspect visuel (ou les formes ornementales) de son objet,
- au contraire le modèle d’utilité qui comme le « Gebrauchsmuster », tend à en protéger ses fonctions techniques (ou ses formes fonctionnelles utiles), peu important son aspect ornemental.
Ce RDMC semble bien l’admettre :
- puisqu’il associe le modèle industriel avec les Arrangements de La Haye et de Locarno, dans son titre et ses articles 25, 37, 40 et 106,
- alors qu’il rapproche le modèle d’utilité, des brevets d’invention dans ses considérant (31) et article 96.
Il en est de même de la Directive 98/71 du 13 octobre 1998 dans ses considérant (7) et article 16, sans pour autant évoquer un « modèle industriel », ni le titre étranger qui donnerait droit à la priorité pour déposer dans l’UE.
C’est aussi ce à quoi nous font penser dans notre Convention de Paris de 1883, ses articles 1 2) et 4), 4 A.- 1), 4 C 1), 4 I, 4bis 1), 4ter, 5 D, 5bis 2), 5quater, 5quinquies, 11 1), 12 1) et 2) :
- brevet d’invention, certificat d’auteur d’invention ou modèle d’utilité, d’une part,
- et, d’autre part, dessin ou modèle industriel.
Pourquoi, alors, à son article 41, ce RDMC parle-t-il subitement de modèle d’utilité pour créer cette priorité, tout en y omettant le modèle industriel ?
Certes, la Convention de Paris permet, à son article 4 E, au dépôt de modèle d’utilité de faire naître un droit de priorité pour déposer hors de ses frontières un modèle industriel. Dans ce cas-là, le délai est de six mois et non pas de douze, comme en matière de brevet d’invention.
Mais le fameux Professeur Bodenhausen fait aussitôt remarquer dans son ouvrage (pp. 53 à 55) publié en 1969 par les BIRPI de l’époque qu’il est rare qu’une législation nationale (ou régionale) autorise un « chevauchement », autrement dit une seule protection commune pour un même article industriel dans ses aspects ornementaux et dans sa nouveauté technique.
Ce n’est pas ce régime que nous connaissons en Europe.
- L’avenir nous dira si ces appareils de gymnastique ou de sport sont valablement protégés par les dessins enregistrés par l’EUIPO qui compte tenu des termes même de cet article 41 du RDMC, a admis dans ses décisions des 31 octobre 2018 et 13 juin 2019 que pouvait naître d’une demande PCT (qui englobe effectivement les modèles d’utilité), une priorité pour déposer un modèle dans l’UE.
Puisque cette solution n’était pas critiquée ni par le déposant, ni par l’EUIPO devant lui, le Tribunal de l’UE [TUE] a dû l’admettre dans sa décision du 14 avril 2021 [T-579/19], mais il en a étendu la durée de six à douze mois. Cette décision est maintenant frappée d’un pourvoi (déclaré recevable).
Et si certains venaient à penser qu’une demande PCT pouvait faire naître un droit de priorité pour déposer aussi une demande d’enregistrement de marque, au prétexte que son signe y a été décrit pour désigner ses produits ou services … s’agirait-il du « même objet », comme l’exige notre convention séculaire notamment à son article 4 C 4) ?
N’est-ce pas ce que le RDMC voulait reprendre à son article 41 1. selon son expression « pour le même dessin ou modèle ou pour le même modèle d’utilité » ?
Est-ce une des raisons pour lesquelles l’EUIPO a annoncé la possible instauration d’un modèle d’utilité dans l’UE ??
à suivre …
Thierry Mollet-Viéville, avocat à la Cour – DTMV, ancien président de l’AIPPI