Grimaud VALAT Avocat associé

13.11.22

De l’impact du DSA sur l’exploitation des systèmes de recommandation de contenus – RLDI

Le ciblage en ligne de mire.

Article de Grimaud Valat consacré aux impacts du DSA sur l’usage des systèmes de recommandation de contenu, et notamment de la publicité ciblée qui en est une des formes. L’analyse de ses dispositions conduit en effet à se demander si la publicité ciblée n’est pas amenée, si ce n’est à disparaître, au moins à diminuer très fortement.

Thierry MOLLET-VIÉVILLE Avocat associé

Articles et publications 31.08.22

Indemnités ou forfait pour les victimes de contrefaçon ?

Ici, le propos se limitera essentiellement à l’évaluation des dommages et intérêts (d-i) selon la responsabilité civile (art. 1240 et s. C.Civ.) pour indemniser le titulaire qui n’exploite pas son titre sur le marché, mais qui est lésé par une ou plusieurs contrefaçons.

 

Remarques

 

  • Il paraît ici naturel de laisser la notion de « dommages punitifs » relever de la responsabilité pénale que ses juges apprécient dans l’intérêt général de l’ordre public.

 

Dans des rédactions parfois maladroites, les art. 45 et 13 des Adpic et Directive 2004/48 ont permis à certains de dire que les d-i devraient être réduits, si le contrefacteur condamné a cependant agi « sans le savoir », quand bien même les préjudices causés à sa victime dépassent ses bénéfices à « recouvrer » ou des « dommages-intérêts préétablis » [sic].

 

Mais au moins en France où son législateur a voulu exclure cette « circonstance atténuante de la contrefaçon de bonne foi », chacun s’accorde à tenter de remettre la victime dans l’état où elle aurait dû être si la contrefaçon n’avait pas existé.

 

  • N’est pas non plus abordé dans cette note, les questions de compétence et de pouvoirs du juge par exemple français (FR) pour évaluer selon une ou plusieurs lois locales, les d-i dus pour des contrefaçons commises sur plusieurs territoires de l’UE, notamment celles d’un titre unique comme la marque ou le modèle UE.

 

  • Les textes français [L 331-1-3, 521-7, 615-7, 716-4-10 et 722-6 CPI] sont identiques quel que soit le droit en cause ; pourtant leur objet diffère entre eux, notamment celui de marque qui ne confère a priori aucune protection sur le produit ou le service qu’elle désigne.

 

Toutes les victimes sont ici envisagées, même s’il s’agira essentiellement de celles de la contrefaçon de brevet.

 

Comme par le passé, ces textes n’excluent aucun dommage, dès lors qu’il est réel, imputable à la contrefaçon, et à la condition que le juge en soit convaincu par les éléments de preuve que lui soumet la victime, elle-même souvent démunie à supporter une telle charge.

 

Mais dorénavant, c’est sous le contrôle de la Cour de Cassation que nos juges doivent de manière motivée apprécier ces directions données par ces textes.

 

  • Sans doute faudrait-il ici aussi, garder à l’esprit les attributs essentiels du droit exclusif opposable à tous :
  • le droit de mettre seul dans le commerce,
  • le droit d’interdire et/ou le droit à récompense.

 

  • Reste une précision importante à apporter sur la réalité des conséquences économiques négatives de la contrefaçon : si le titulaire n’exploite pas son titre, il peut en réalité le faire exploiter sur un marché industriel ou commercial, par un tiers qu’il aura autorisé à certaines conditions.

 

Il est donc nécessaire d’envisager pour cette victime qui n’exploite pas elle-même, deux situations distinctes : aucun licencié n’exploite ou au contraire son licencié exploite le titre en cause.

 

Car dans ce cas-là, les conséquences économiques négatives de la contrefaçon ne sont certainement pas les mêmes ; et elles ne devraient pas pouvoir être cumulables (voir infra).

 

Indemnités ou forfait ?

 

  • Tous ces textes du CPI reprennent à leur premier alinéa (al. 1), les deux critères connus depuis toujours pour évaluer les indemnités dues à la partie lésée : le manque à gagner et la perte subie.

Un manque à gagner est un gain certainement manqué, mais il n’a pas été réellement éprouvé.

 

C’est le cas par exemple :

 

  • des gains manqués que l’exploitant aurait pu avoir fait sur la commercialisation de la masse contrefaisante (alors que pour faire face à ceux pratiqués par le contrefacteur, il a également dû abaisser ses prix perdant ainsi sur ses propres ventes une partie de ses profits) ;

 

  • de la redevance manquée que le contrefacteur sur son chiffre d’affaires aurait dû avoir payée au titulaire qui n’est pas sur le marché, s’il lui avait loyalement demandé une licence (alors que la redevance perdue par le titulaire serait celle que son licencié ne lui a effectivement pas payée sur le chiffre d’affaires complémentaire qu’il aurait réalisé s’il avait pu commercialiser la masse contrefaisante). (voir également infra)

 

Depuis toujours, nos juges prennent en considération les bénéfices (bruts, semi bruts et/ou nets) des contrefacteurs, ne serait-ce que pour évaluer le taux cette redevance manquée, aux environs du quart (et parfois du tiers) des gains qu’un licencié peut espérer retirer de sa licence. Cette considération pouvait également les conforter dans la réalité économique des gains manqués que l’exploitant lésé par la contrefaçon invoque devant eux.

 

Dans les deux cas, il s’agit bien d’une redevance indemnitaire, à laquelle il convient d’intégrer, comme le précisait notre Cour de Cassation, tous les autres avantages que la licence aurait pu avoir apportés à son donneur (efforts de mise au point et de lancement, qualités des objets, connaissances du marché et de ses besoins, efforts de distribution et de promotion, image de marque etc…).

 

  • Pour les premières fois en 2007 et 2014, c’est dans leur second alinéa (al. 2) que ces textes instituent le forfait à la demande de cette même partie lésée.

 

Et ces textes visent expressément le caractère alternatif de ce choix ; autrement dit choisir l’une des branches de cette alternative, c’est bien sûr renoncer à son autre branche. (voir également ci-après)

 

Mais parodiant cette redevance indemnitaire manquée, le législateur caractérise ce forfait comme étant constitué :

 

  • par le prix de l’autorisation, même si cette licence est a posteriori,

 

  • augmenté d’un coefficient :
    • certainement pour compenser les avantages qu’un contrefacteur même licencié a posteriori n’a pas pu avoir procurés au titulaire,
    • dont la Cjue rappelle cependant que si le doublement dépasse clairement et considérablement le préjudice, il pourrait alors constituer un abus de droit interdit par l’art. 3 de notre Directive [Cjue 25 janvier 2017, Oławska Telewizja Kablowa / Filmowców Polskich (§ 31) C:2017:36],

 

  • mais dont la victime a néanmoins la charge de la preuve (sans toutefois avoir à dévoiler surtout à un concurrent illégitime, ses propres profits ou pertes, et/ou autres modes d’exploitation de son objet protégé), le juge FR s’interdisant de son côté à prendre en considération ses connaissances personnelles (sauf si elles sont notoires).

 

Il conviendrait ici d’observer qu’en principe, le pouvoir d’autoriser ou d’interdire l’exploitation d’un titre est entre les mains du seul titulaire. Certes la licenciée exclusive peut à certaines conditions agir en contrefaçon, et en toute hypothèse exiger de son donneur de licence à être seule sur son marché.

 

Au contraire la licenciée non-exclusive a accepté de ne pas y être seule ; elle n’a donc pas le pouvoir d’interdire une exploitation par un tiers ; elle ne pourrait donc pas en faire payer le prix pour lever cette interdiction.

 

On pourrait donc se demander si ce prix de l’autorisation composant ce forfait est due à la partie lésée, lorsque celle-ci ne dispose pas de ce droit d’interdire, surtout si en dehors du contrefacteur, elle n’est pas la seule à occuper le marché.

 

 

  • Prenons maintenant l’hypothèse du titulaire qui par exemple à ses filiales, reconnait avoir donné une licence gratuite.

 

Dans ces conditions, la contrefaçon ne semble pas lui avoir causé un dommage, ni fait perdre une redevance, que ses licenciées ne lui aurait pas plus payée si elles avaient pu commercialiser également la masse contrefaisante.

 

Mais rien n’interdit à ces filiales licenciées d’intervenir dans l’instance introduite par ce titulaire, pour demander la réparation de leurs propres préjudices.

 

A ce titre au moins en matière de brevet, si un écrit est exigé l’art. L 613-8 CPI, une confirmation écrite y compris pour le passé de ces licences même non inscrites dans le Registre à l’Inpi (voir, depuis 2008 au moins, l’art. L 613-9 § 3 CPI) et même en cours d’instance (selon la dernière jurisprudence parisienne), leur permet d’y intervenir pour réclamer leurs propres d-i.

 

Et dans ce cas-là, sur les gains manqués par ses licenciées sur la masse contrefaisante, le donneur de licence n’a-t-il pas néanmoins perdu une contrepartie, notamment en vertu de l’exploitation convenue de leurs entreprises ?

 

  • C’est bien dans ce régime qu’à tous ses al.1, notre CPI guide dorénavant nos juges pour fixer les d-i.

 

D’ailleurs n’est-ce pas au-delà des théories juridiques, la réalité économique qui doit s’imposer dans cette évaluation des dommages réellement causés par la contrefaçon ?

 

Raisonnons un instant par l’absurde, ce qui pourtant, on va le voir, n’est pas éloigné de la réalité judiciaire.

 

En effet le juge parisien a cru pouvoir à certaines reprises accorder, ne serait-ce qu’à titre de provisions :

 

  • une redevance (indemnitaire de l’ordre de 20% du chiffre d’affaires contrefaisant) à payer au titulaire par le contrefacteur

 

  • et des gains manqués (évalués aux environs de 40% de ce même chiffre d’affaires contrefaisant) à payer à sa licenciée toujours par le même contrefacteur.

 

A 60%, cela revient à une véritable confiscation, au surplus du chiffre d’affaires !

 

Elle est sans doute disproportionnée et contraire à l’opinion de notre Cour de Cassation, qui a déjà rappelé que la confiscation des recettes devait au profit de l’auteur lésé se limiter à son préjudice réellement subi.

 

Un tel cumul des al. 1et 2 paraît illégitime sur ce même chiffre d’affaires du contrefacteur. Car les professionnels rappellent que c’est sur ces gains manqués de 40% qu’il faut retenir la part que la licenciée aurait eu à payer à son donneur si elle avait pu commercialiser cette masse contrefaisante.

 

Et inversement, si le contrefacteur a payé au titulaire le forfait des al. 2, constitué rappelons-le par un dépassement des redevances ou droits sur son chiffre d’affaires contrefaisant, il devient ainsi a posteriori autorisé par le titulaire. Il n’aurait donc plus à payer d’autres sommes au titre des indemnités des al. 1.

 

Conclusions

 

  • Il conviendrait de déduire de ces observations, que le forfait supérieur au prix de l’autorisation (redevances ou droits dus) qu’à tous ses al. 2 notre législateur n’a institué qu’à « titre d’alternative », devrait être demandé par chacune des parties lésées, à défaut de quoi le juge restera tenu de n’appliquer que le régime des d-i de ses al.1.

 

Et ce forfait ne pourrait être accordé, que si aucune autre conséquence négative ni économique des al.1 n’aura été sollicitée, à l’exception bien entendu de l’indemnisation du préjudice moral que précisément le législateur a voulu ajouter à ce forfait de ses al.2.

 

Une telle solution semble bien être admise par tous, lorsque le titulaire exploitant seul le marché aura préféré renoncer à dévoiler ses gains manqués et/ou ses pertes subies ou encore ses propres efforts intellectuels, matériels et promotionnels des al.1, pour demander alors « à titre d’alternative », ce forfait des al. 2, sous réserves bien sûr de son préjudice moral.

 

  • Ainsi, le titulaire dont le titre n’est exploité par quiconque, est en droit d’obtenir sur le chiffre d’affaires contrefaisant une redevance indemnitaire manquée des al.1. Notons ici qu’elle sera d’ailleurs généralement évaluée sensiblement de la même manière que le prix de l’autorisation des al.2.

 

Mais si le titre est exploité par sa licenciée, le titulaire devrait pouvoir réclamer, non pas une redevance sur le chiffre d’affaires du contrefacteur, mais bien tous les avantages qu’il aurait dû avoir reçus de sa licenciée, si elle avait pu commercialiser cette contrefaçon.

 

  • Par conséquent, les titulaires et leurs licenciées devraient s’entendre sur leur manière d’être indemnisés par le contrefacteur, avant que l’un d’eux ne sollicite d’un juge le paiement du forfait institué aux al. 2.

 

Thierry Mollet-Viéville

avocat à la Cour – DTMV –

ancien président de l’Aippi et de l’Afppi

Thierry MOLLET-VIÉVILLE Avocat associé

25.08.22

Contrefaçons de brevets hors de France

La Cour de Cassation vient de rappeler très clairement qu’aussi en matière de brevet, le juge français (FR) peut sanctionner des contrefaçons commises hors de France (FR), [double cassation du 29 juin 2022, pourvoi G 21-11.085, arrêt 540 F-D : Hutchinson (FR) / Global Wheel (ZA), Tyron (GB) , Dal (FR) et LaVi (FR)].

Cette affaire judiciaire se présente de la manière suivante :

  • Le demandeur FR est titulaire d’un brevet européen (EP) désignant la FR, la Grande-Bretagne (GB) et l’Allemagne (DE).
  • Ce breveté reproche à quatre défendeurs :
    • au fabricant sud-africain (ZA), de livrer en Angleterre (EN) et en FR,
    • à l’importateur EN, d’exposer en FR, d’offrir notamment sur son site internet en GB et de revendre à partir de son pays, notamment vers la FR et la DE,
    • aux deux FR, d’offrir sur ce site EN les objets incriminés de contrefaçon, notamment à destination de la FR.
  • Ce breveté demande en 2018 aux juridictions parisiennes d’apprécier ces contrefaçons tant en FR qu’en GB et DE, bien entendu selon la loi nationale de chacun de ces trois pays.

La validité du EP n’est contestée par personne.

  • Les deux défendeurs FR admettent à leur égard cette compétence internationale de la juridiction FR, compte tenu notamment de l’arrêt (CJUE) Fiona Shevill de 1995.

Mais à la demande des défendeurs ZA et EN, les juges parisiens, tant en première instance qu’en appel, se déclarent incompétents pour apprécier les contrefaçons qui sont reprochées en GB et DE.

La cassation est prononcée pour violation :

  • et de l’art. 8 (1) du Règlement (UE) 1215/2012 du 22 décembre 2012, sur la pluralité des défendeurs [§ 6],
  • et de l’art.14 de notre Code Civil, sur la nationalité FR du demandeur [§ 10].

La pluralité des défendeurs

Les juges parisiens avaient en effet estimé (imitant en cela l’ancien arrêt CJUE Roche/Primus de 2006) que compte tenu du droit EN et gallois de la contrefaçon, il n’était pas inconciliable que le juge EN puisse estimer qu’il n’y a pas contrefaçon sur son territoire, alors qu’appliquant sa loi FR, le juge FR pouvait de son côté estimer de manière seulement « divergente », qu’il y a bien contrefaçon dans son pays, alors qu’au surplus les produits incriminés ne seraient pas identiques en GB et en FR.

Mais c’était oublier (ce que pourtant la CJUE avait déjà retenu dans son arrêt plus récent Solvay/Honeywell de 2012) les points suivants :

  • La juridiction FR doit statuer sur les contrefaçons en GB qui sont aussi reprochées aux deux défendeurs FR.

Et ce sera selon ce même droit EN de la contrefaçon de la même partie EN du EP.

Dans ces conditions, il serait pour le moins « surprenant » sinon « inconciliable » que sa décision diffère de celle du juge GB pour les contrefaçons commises sur ce même marché GB par les deux autres défendeurs, le livreur ZA et l’importateur EN.

  • Au surplus, les actes reprochés aux FR en GB constituent bien l’une des deux faces de la même pièce de monnaie à ceux reprochés à leur fournisseur EN et importateur ZA sur ce même marché GB.

Il s’agit bien de la même source et de la même filière de commercialisation à travers plusieurs pays de l’UE.

Tout comme le fabricant à Marseille, le grossiste parisien et le revendeur breton de la contrefaçon alléguée sont légitimement assignés devant le seul juge parisien.

  • Enfin sur ce marché GB, ce sont bien toutes les versions du même produit en cause, que le breveté incrimine de contrefaçon devant ce juge FR.

La nationalité française du demandeur

  • Cet art. 14 de notre Code Civil prévoit depuis plusieurs siècles que « L’étranger, même non résidant en France, pourra être  […] traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français ».

Inversement, son art. 15 dispose que « Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger.».

Il est clair que ce privilège exclusivement en faveur du FR ne s’applique que si aucun autre texte national, régional ou international ne bénéficie à cet étranger.

Et dans ce cas-là, ce privilège est de portée générale et s’applique :

    • au litige même de nature délictuelle,
    • pour le seul motif que le demandeur est de nationalité FR.

C’est bien le cas du ZA qui livrait en GB ; il peut donc être assigné par le breveté FR devant le Tribunal de Paris.

Depuis le Brexit et jusqu’à nouvel ordre, ce sera aussi le cas du GB qui importe et/ou met dans le commerce à partir de son pays.

Dans la pratique, force est de constater que nombreux sont les demandeurs FR qui négligent ce privilège qui en effet n’est pas obligatoire, ni d’ordre public international FR.

Serait-ce pour éviter d’avoir à multiplier les preuves du caractère contrefaisant selon chacune des lois locales de la contrefaçon ?

Pourtant notamment en Europe, de nombreuses lois nationales se sont alignées sur l’Accord de Marrakech du 15 avril 1994 (art. 28 et s. sur l’exercice des droits de brevet).

  • Suivant cette logique traditionnelle du droit international privé FR, le breveté FR pourrait-il devant un juge FR assigner le fabricant américain (US) ou le commerçant chinois (CN) qui contreferait dans son pays le titre de ce demandeur FR, toujours selon les lois locales US ou CN ?

Ceci peut paraître :

    • exorbitant, par exemple pour les personnes morales qui ont plus souvent que les personnes physiques, les moyens de répartir leurs réclamations judiciaires sur chacun de nos continents …
    • risqué de voir la réciproque être infligée aux FR dans ces pays …

Mais sommes-nous à un privilège près dans ce monde face à des puissants qui souhaitent protéger à l’étranger les intérêts de leurs propres ressortissants ?

Faudrait-il  alors exiger que cet étranger contrefasse aussi en FR ?

Des spécialistes de ce droit international privé répondent par la négative.
En effet, au moins du point de vue de la responsabilité civile, nos litiges en propriété intellectuelle ne se distinguent pas des autres litiges de nature délictuelle.

Remarques

Au début du XXème siècle, le juge FR s’était déjà déclaré compétent pour apprécier sinon la validité, du moins la portée quasi-inexistante d’une marque grecque ou d’un brevet espagnol d’importation, notamment pour écarter dans ces pays les contrefaçons que son titulaire FR lui soumettait.

Si l’art. 24 (4) de ce même Règlement UE 1215/2012 interdit maintenant à nos juges de se prononcer sur la validité d’un titre dans l’UE qui n’a pas été délivré par son Etat, le juge FR de la contrefaçon pourrait bien réagir comme le juge DE avec son système de la bifurcation, et par exemple surseoir à statuer sur la contrefaçon étrangère si la validité du titre étranger lui apparaît sérieusement douteuse.

Conclusion

Il est heureux que cette compétence internationale de nos juges, depuis longtemps reconnue pour les contrefaçons de droit d’auteur, de dessin et modèle, de marque, ou encore pour la concurrence déloyale, soit maintenant reconnue par notre cour suprême en matière de brevet. Sans oublier leur CCP !

Thierry MOLLET-VIÉVILLE Avocat associé

04.07.22

Le droit de priorité, son ayant cause : un bon sens international à suivre …

1/   La Convention de Paris (CP, art.4 A à I) a créé et institué en 1883 le principe du droit de priorité au profit du déposant de sa première demande d’un titre de propriété industrielle (brevet, marque et dessin ou modèle).

Le Traité de Washington (PCT, art.8) et la Convention sur le Brevet Européen (CBE, art. 87 à 89) l’ont également prévu en 1970 et 1973, pour le brevet sur leur territoire.

 

a. Tout comme le brevet lui-même, au moins selon notre droit français, ce droit de priorité constitue un droit mobilier de propriété incorporelle opposable à tous.

C’est donc un bien négociable ; et en 1911, la CP a confirmé son extension à l’ayant cause du déposant.

Dans quelles conditions peut-il alors être exercé et négocié ?

Entre déposant et ayant cause, ce ne peut être que par le droit des contrats qui consacre la volonté commune des parties.

Ce contrat a pour le moins une vocation internationale ; il a donc tout intérêt à être soumis et apprécié par une seule et même loi, et ce pour le monde entier.

La CP se gardant d’aborder ce sujet, cette loi devrait naturellement être celle du pays où ce droit de priorité est né.

A défaut d’en convenir autrement, il conviendrait comme d’habitude de tenir aussi compte de la nationalité du déposant et de son ayant cause, de leur domicile ou établissement, du lieu des signatures, de la langue du contrat …

C’est dans ce sens que nos juges français appliquent la loi américaine pour apprécier la cession outre du droit de déposer à l’étranger, celle également du droit de priorité dans la convention soumise à la loi américaine, lorsque par exemple elle a été passée aux USA entre l’inventeur américain qui a déposé sa première demande dans son pays, et son cessionnaire aussi américain, tous deux basés sur ce même territoire.

D’autre part, plusieurs pays et certaines régions prévoient à ce régime contractuel un régime légal qui s’impose et le supplante, par exemple le droit social du travail qui relèverait d’ailleurs de l’ordre international public.

C’est bien ce que pour le droit au brevet européen, l’art. 60 (1) de la CBE prévoit pour imposer, lorsque l’invention a été réalisée par un employé, une seule loi applicable (celle du lieu de l’emploi principal, ou à défaut celle du lieu de son attachement effectif à l’établissement de son employeur).

 

b. Mais rappelons néanmoins deux choses :

  • Le droit au brevet et le droit à la priorité sont des droits bien distincts, même si l’un peut dépendre de l’autre.

Le droit au brevet revient généralement à l’inventeur, alors que la priorité n’existe que sur la tête du déposant de la première demande et qu’elle expire au bout d’un temps assez court.

Si c’est à l’inventeur que revient naturellement le droit de déposer une demande de brevet, la commande de son invention peut lui imposer de transférer son droit au brevet à celui qui lui avait commandé cette invention et qui en devient son légitime « ayant-cause ».

Mais pour autant le régime des inventeurs sur commande qui relève de ce droit au brevet, ne peut pas être automatiquement transposé au droit de priorité qui jusqu’à maintenant n’existe pas sur la tête de l’inventeur, même s’il en est le premier.

 

  • D’autre part, céder une demande (nationale ou régionale) de brevet ne confère pas nécessairement le droit d’en déposer de nouvelles hors de son territoire.

 

2/        A vrai dire, né de la CP, ce droit de priorité est destiné à être exercé à l’étranger, là où la demande ultérieure va pouvoir effectivement bénéficier de sa date de priorité.

Dans ces conditions, l’ayant cause du déposant, le cessionnaire de la priorité, devra respecter les conditions dans lesquelles ces deux conventions, l’une multilatérale (PCT) l’autre régionale (CBE), reconnaissent et mettent en œuvre ce droit de priorité ; tout comme les pays de la CBE reconnaissent leur obligation de protéger selon leurs propres modalités d’exercice, les inventions non-européennes des ressortissants de la CP, de la même manière que pour leurs propres nationaux.

C’est à ce titre que l’on peut ici évoquer non plus seulement la loi d’origine, mais également la loi du pays où la protection est réclamée :

  • ne pas violer l’ordre international public de ce pays destinataire, notamment en matière de droit social du travail,
  • remplir convenablement les formalités locales pour revendiquer ce droit de priorité (copie, traduction, délais, taxes …).

En Europe pour la cession de la demande de brevet européen, l’art. 72 (CBE) impose un écrit signé par les parties contractantes, ce qui effectivement en facilite la preuve, si elle devient nécessaire.

Pour autant cette exigence de l’écrit n’est pas dans ce traité international expressément sanctionnée par la nullité de cette cession, contrairement à la loi française (L.613-8 § 5 CPI) selon son principe « pas de nullité sans texte ».

Mais ni cette exigence formelle ni les autres droits de propriété prévus aux art. 71, 73 et 74 (CBE) ne sont prévus pour le droit de priorité et son ayant cause, surtout lorsque le brevet a été définitivement délivré.

C’est pourquoi la Cour de Paris a déjà pu apprécier la cession notamment du droit de priorité aux termes de conventions conclues selon le droit américain, entre des employés américains et leur employeur tous établis dans ce même pays.

Au vu de consultations émanant de juristes américains, cette Cour a même admis que la cession du droit de priorité pouvait en effet être implicite à condition qu’elle soit certaine ; tel serait le cas lorsqu’elle résulte notamment d’obligations de faire, quand bien même elles auraient été conclues avant que cette priorité ne naisse sur la tête des inventeurs premiers déposants aux USA.

Certes le droit de priorité est éphémère. Il paraît néanmoins sage de respecter le principe fondamental de l’autonomie de la volonté des parties qui peuvent être toutes d’accord pour céder et acquérir un droit à naître, quitte à se confirmer mutuellement un tel transfert, même lorsqu’il a expiré.

En définitive, le simple bon sens devrait semble-t-il imposer :

  • d’accorder aux inventeurs étrangers ressortissants de la CP un titre juridique comme à ses propres nationaux,
  • mais d’appliquer une seule loi pour régir et apprécier un contrat convenu entre plusieurs personnes sur l’un des attributs du droit conféré par le dépôt d’origine de la première demande, et ce pour le monde entier.

 

3/        Reste la délicate question de compétence et de pouvoir de l’autorité pour apprécier le fond (dont le contenu) et la forme (dont le mode de preuve) de cette cession, dont la sanction n’est en principe que la perte de la date de priorité, mais non la nullité de son titre.

a. Les juges français se sont heureusement et depuis longtemps considérés compétents pour statuer sur ces cessions de priorité, quitte à appliquer effectivement la loi d’origine, convaincus de la réalité même seulement implicite de la volonté des parties de convenir du transfert effectif entre elles – non seulement du droit de déposer à l’étranger – mais également du droit de priorité, surtout du temps de son existence telle que prévue par nos conventions internationales.

 

b. Le défaut de priorité ne constituant pas un motif d’opposition, l’OEB n’est pas compétent pour statuer sur le contenu et la portée de la convention invoquée pour le transfert de ce droit, l’un des attributs de cette propriété incorporelle opposable à tous y compris après la délivrance définitive du brevet.

Pourtant les offices sont en général compétents pour statuer sur le défaut de nouveauté ou d’activité inventive d’un brevet non encore définitivement délivré.

Et pour cela, l’office doit naturellement connaître la date à laquelle se termine l’état de la technique opposable à la demande pour savoir si un document intercalaire peut en détruire sa brevetabilité.

Mais faut-il pour autant admettre qu’un office a le pouvoir d’aller au-delà du simple contrôle formel de la régularité de la revendication sur son territoire ?

On pourrait imaginer de suivre la règle admise devant plusieurs offices, selon laquelle le demandeur est réputé habilité à exercer le droit invoqué devant lui [voir par exemple les art. L.611-6 CPI et 60 (3) CBE].

Il n’en serait autrement que si de manière manifeste et évidente, ce demandeur n’a pas droit au bénéfice d’une priorité.

C’est bien le cas lorsque le déposant PCT et CBE n’est pas le même que l’inventeur déposant de la première demande aux USA.

L’inexistence du transfert de la priorité invoquée apparaît d’autant plus manifeste et évidente, lorsque l’entreprise déposant ses demandes PCT et CBE a elle-même déclaré à l’OEB qu’aucun contrat de cession ou de travail n’existait avec son employé déposant aux USA.

Dans ces conditions, s’il une existe une antériorité pertinente entre cette priorité américaine et le dépôt en Europe, il apparaît intéressant ne serait-ce que sur le plan pratique et dans l’intérêt de tous, de connaître l’avis d’un tel office sur la date exacte dont la demande en Europe peut en réalité bénéficier.

Puis, si l’office décide de révoquer la délivrance d’un tel brevet notamment pour défaut de nouveauté au vu de l’antériorité intercalaire, une révision judiciaire devrait encore être offerte à la victime de cette révocation [voir les art. 32 et 41.4 de l’ADPIC].

S’agissant de l’INPI, la Cour de Paris devrait pouvoir connaîtra d’un tel recours cette fois-ci judiciaire pour apprécier pleinement le fond et la forme de la cession même étrangère.

Qu’en sera-t-il de l’OEB dont la Grande Chambre va bientôt donner son avis ?

Qu’en sera-t-il de la JUB où le défaut du transfert de la priorité qui entraîne le défaut de brevetabilité, serait une défense relevant alors de sa compétence « exclusive » [voir l’art. 32-1. a) de l’Accord] ?

On pourrait imaginer suivant le principe équitable que le juge de l’action est aussi celui de l’exception, que la JUB doive se saisir de ce moyen de défense, quitte à se contenter de débouter le demandeur en contrefaçon, sans pour autant accorder un effet « erga omnes » ni une autorité de la chose jugée (res judicata) à son appréciation sur la cession de la priorité.

 

c. Enfin, la décision du premier juge saisi de cette cession devrait sinon s’imposer, du moins être retenue et prise en considération par toutes les autres juridictions.

C’est la même question qui se pose en matière de licence Frand.

 

4/         C’est bien là que droit international privé connu notamment dans les Conventions de Vienne et de Rome pour tous les contrats, devrait avec bon sens être retenu, ne serait-ce que parce que ce droit international privé est accepté et pratiqué par la plupart des pays au moins en Europe.

à suivre …

thomas-cuche-auteur

Thomas CUCHE Avocat associé

Communiqué et Vie du Cabinet 30.06.22

Webinaire : Brevet Unitaire et Juridiction Unifiée des Brevets

Droit des brevets : nouveau droit, nouvelle juridiction, nouvelles règles, êtes-vous prêts?

Webinaire organisé et animé par Thomas Cuche, associé du cabinet DTMV, sur l’introduction du Brevet unitaire et de la Juridiction Unifiée du Brevet.

Lors de ce webinaire, les thématiques suivantes ont été abordées :

  • Le Brevet à effet unitaire : qu’est-ce que c’est ? En quoi est-ce différent du brevet européen ou du brevet français ? Cela est-il pertinent pour mon activité ? (portée géographique, coût, conditions d’examen).
  • La Juridiction des brevets à effet unitaire (JUB) : cette nouvelle juridiction, c’est quoi ? Quelle sera sa compétence et la portée de ses décisions ? ça coûte cher d’agir, ou de se défendre devant cette juridiction ? Et comment faire si je ne veux pas que les brevets de mon entreprise relèvent de la compétence de cette juridiction ?

Lin NIN Avocat associé

Sarah LARBI Avocat

19.04.22

UES et compétence ratione materiae : à la recherche d’un texte perdu !

En matière d’UES, le Pôle social du contentieux des élections professionnelles du tribunal judiciaire qui est considéré comme compétent. Mais sur quel fondement ? Dans un article paru dans le JCPE, Lin Nin et Sarah Larbi reviennent sur la notion d’UES et son fonctionnement.

Retrouvez leur article ici

 

Thierry MOLLET-VIÉVILLE Avocat associé

04.04.22

Les brèves DTMV : Modèle industriel ou d’utilité ? Droit de priorité ?

Le dépôt d’un modèle industriel hors de l’Union Européenne (UE) confère-t-il un droit de priorité pour déposer un tel modèle dans l’UE ?

La réponse semblerait évidente.

Pourtant, l’art. 41 du Règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles [RDMC] maintenant de l’UE ne la donne pas ! Cet art. 41 ne vise en effet que le dessin, le modèle et … oh surprise … le « modèle d’utilité », mais pas le modèle industriel pour faire naître un tel droit de priorité.

N’est-ce pas une erreur de plume ? à corriger au plus vite ?

Chacun connait la différence essentielle entre ces deux régimes de modèle :

  • celui industriel qui comme le « patent design », tend à protéger l’aspect visuel (ou les formes ornementales) de son objet,
  • au contraire le modèle d’utilité qui comme le « Gebrauchsmuster », tend à en protéger ses fonctions techniques (ou ses formes fonctionnelles utiles), peu important son aspect ornemental.

Ce RDMC semble bien l’admettre :

  • puisqu’il associe le modèle industriel avec les Arrangements de La Haye et de Locarno, dans son titre et ses articles 25, 37, 40 et 106,
  • alors qu’il rapproche le modèle d’utilité, des brevets d’invention dans ses considérant (31) et article 96.

Il en est de même de la Directive 98/71 du 13 octobre 1998 dans ses considérant (7) et article 16, sans pour autant évoquer un « modèle industriel », ni le titre étranger qui donnerait droit à la priorité pour déposer dans l’UE.

C’est aussi ce à quoi nous font penser dans notre Convention de Paris de 1883, ses articles 1 2) et 4), 4 A.- 1), 4 C 1), 4 I, 4bis 1), 4ter, 5 D, 5bis 2), 5quater, 5quinquies, 11 1), 12 1) et 2) :

  • brevet d’invention, certificat d’auteur d’invention ou modèle d’utilité, d’une part,
  • et, d’autre part, dessin ou modèle industriel.

Pourquoi, alors, à son article 41, ce RDMC parle-t-il subitement de modèle d’utilité pour créer cette priorité, tout en y omettant le modèle industriel ?

Certes, la Convention de Paris permet, à son article 4 E, au dépôt de modèle d’utilité de faire naître un droit de priorité pour déposer hors de ses frontières un modèle industriel. Dans ce cas-là, le délai est de six mois et non pas de douze, comme en matière de brevet d’invention.

Mais le fameux Professeur Bodenhausen fait aussitôt remarquer dans son ouvrage (pp. 53 à 55) publié en 1969 par les BIRPI de l’époque qu’il est rare qu’une législation nationale (ou régionale) autorise un « chevauchement », autrement dit une seule protection commune pour un même article industriel dans ses aspects ornementaux et dans sa nouveauté technique.

Ce n’est pas ce régime que nous connaissons en Europe.

  • L’avenir nous dira si ces appareils de gymnastique ou de sport sont valablement protégés par les dessins enregistrés par l’EUIPO qui compte tenu des termes même de cet article 41 du RDMC, a admis dans ses décisions des 31 octobre 2018 et 13 juin 2019 que pouvait naître d’une demande PCT (qui englobe effectivement les modèles d’utilité), une priorité pour déposer un modèle dans l’UE.

Puisque cette solution n’était pas critiquée ni par le déposant, ni par l’EUIPO devant lui, le Tribunal de l’UE [TUE] a dû l’admettre dans sa décision du 14 avril 2021 [T-579/19], mais il en a étendu la durée de six à douze mois. Cette décision est maintenant frappée d’un pourvoi (déclaré recevable).

Et si certains venaient à penser qu’une demande PCT pouvait faire naître un droit de priorité pour déposer aussi une demande d’enregistrement de marque, au prétexte que son signe y a été décrit pour désigner ses produits ou services … s’agirait-il du « même objet », comme l’exige notre convention séculaire notamment à son article 4 C 4) ?

N’est-ce pas ce que le RDMC voulait reprendre à son article 41 1. selon son expression « pour le même dessin ou modèle ou pour le même modèle d’utilité » ?

Est-ce une des raisons pour lesquelles l’EUIPO a annoncé la possible instauration d’un modèle d’utilité dans l’UE ??

à suivre …

Thierry Mollet-Viéville, avocat à la Cour – DTMV, ancien président de l’AIPPI

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Thomas CUCHE Avocat associé

Communiqué et Vie du Cabinet 14.03.22

Séminaire AIPPI FR/CEIPI : la protection du secret des affaires et les mesures raisonnables pour le protéger 

Séminaire AIPPI FR/CEIPI

Séminaire en ligne organisé par le groupe français de l’AIPPI et le CEIPI sur le thème « La protection du secret des affaires et les mesures raisonnables pour le protéger ».

Thomas Cuche est intervenu en sa qualité de co-président de la Commission Secrets des Affaires du Groupe Français de l’AIPPI.

 

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